MARC LATHUILLIÈRE
CRECER, RESISTIR
Du 7 octobre au 16 novembre 2020
Commissariat d'exposition : Yann Toma
Vernissage & conférence le 6 octobre 2020
Pour cette seconde exposition de l'année académique, Sorbonne Artgallery est honorée de présenter le travail photographique intense et poétique que l'artiste Marc Lathuillière nous a rapporté de Colombie en mars dernier, avant que la pandémie ne fige le monde.
Marc Lathuillière, largement reconnu pour ses captations géopolitiques, nous immerge à nouveau au cœur de problématiques qui, malgré notre distance, nous interpelle et nous met en lien immédiat avec le cœur d'une région du monde en complète reconfiguration. Avec Crecer, Resistir (« croître, résister »), l'artiste lève le voile sur un nouveau projet réalisé en début d’année en Urabá, une zone de conflit de nord de la Colombie, à la frontière du Panama. Pour celui-ci, l’artiste est resté plusieurs semaines en immersion dans trois communautés afro-descendantes en résistance pacifique contre des groupes armés, narco-paramilitaires et agroindustriels. Contrôlant la région, surveillant les échanges physiques et numériques, pratiquant l’assassinat ciblé pour les dépouiller de leurs terres, ceux-ci détruisent dans la foulée une des jungles les plus biodiverses de la planète. C’est sur ce terrain que Marc Lathuillière a soumis sa pratique à un double questionnement : comment rendre visible une minorité en lutte pour son environnement, là où préserver la vie de ses acteurs impose de ne pas montrer leur visage ? Comment cette contrainte peut-elle faire évoluer une recherche sur le portrait comme représentation de la personne par ses liens biologiques et culturels ?
Dans une démarche étroitement participative avec les villageois, en demande d’une visibilité de leur lutte, ont été conçues cinq séries, l’une vidéo, les autres photographiques. C’est de l’une de ces dernières, Cuerpos y Plantas, que sont tirés les six « portraits environnementaux » exposés à la Sorbonne. Pour celle-ci, l’artiste a demandé aux paysans de se faire représenter par une plante et une partie de leur corps, délégation tant photographique que politique. Les clichés sont accompagnés, pour chaque portraituré, d’un texte écrit à la main sur une toile, dans lequel celui-ci dit librement ses peurs et ses engagements. Formant des polyptiques – un texte plus une à trois images - ces portraits associent donc des membres ou des organes – main, bouche, oreille… -, à des arbres, des fruits, des fleurs, voire à un élément, l’eau. Ils dessinent ainsi une identité remodelée par la mondialisation : fragmentée, transpercée par les réseaux tout autant que reliée au non-humain.
Marc Lathuillière tente ainsi d’adapter à un environnement complexe, emboîtant le local et le global, une démarche photographique qui, depuis les séries Musée national et Fluorescent People, s’est toujours imprégnée des mutations de nos sociétés. En Urabá, C’est une zone pluviale à la biologie exceptionnelle – prise entre les océans Atlantique et Pacifique – que défrichent dans l’indifférence de l’Etat des forces du marché global, barons de la banane, de l’élevage, du palmier à huile et de la coca. Face à eux, une cinquantaine de communautés descendantes d’esclaves marrons et d’indigènes, déplacées par la force au plus fort du conflit contre la guérilla, tentent de reprendre possession de leurs terres ancestrales pour y vivre d’une agriculture non destructive. Leur stratégie est locale : elles se sont autoproclamées « zones humanitaires » et « zones de biodiversité », interdites à tout porteur d’armes. Mais, sans cesse menacées, elles ne survivent que grâce à la veille d’organisations de défense des droits dont les réseaux sont globalisés. Chez Marc Lathuillière, le choix de l’université pour offrir un premier regard sur ce travail engagé, en défense de l’environnement et de la liberté d’expression, participe de cette démarche : elle est tant artistique que politique.
Artiste multiforme, Marc Lathuillière développe depuis 2004 une approche déconstruite de la photographie documentaire. Sa formation – Science Po, EHESS -, tout comme son passé de reporter l’orientent vers des projets au long cours explorant la représentation des sociétés contemporaines dans leur rapport au temps et à l’environnement. Interventions dans les photographies et dans leur lecture, installations, performances et textes lui servent ainsi à mettre en jeu les limites de l’image. Origine de cette démarche, sa principale série, Musée national, l’a vu photographier, depuis 15 ans, près d’un millier de Français portant un même masque.
Son travail a fait l’objet d’expositions importantes en France et à l’étranger : Rencontres d’Arles et Fondation Iberê Camargo à FestFoto Porto Alegre (2023), FRAC Auvergne (2022), CAC Meymac (2021), Bangkok Photo et Photoszene à Cologne (2018), Creux de l’enfer à Thiers dans le cadre de la Biennale de Lyon, Friche La Belle de Mai en dialogue avec Marc Augé à Marseille, Paris Photo, Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg et Paysages français à la BnF (2017), Gare d’Austerlitz (2015), Ithaque dans quatre musées de La Rochelle (2012), Museum Siam à Bangkok (2011), Palais de Tokyo et French May à Hong Kong (2004).
Développant en parallèle une pratique d’écriture, Marc Lathuillière collabore régulièrement avec des auteurs. En 2014, il a monté pour le Mois de la Photo à Paris une double exposition avec Michel Houellebecq, auteur de la préface de son second livre photo, Musée national (La Martinière). Représenté par la Galerie Binome (Paris), ce travail figure dans d’importantes collections : BnF, FRAC Auvergne, Fondation Neuflize Vie, Musée français de la photographie, Centre de la photographie de Mougins, collection Vera Michalski.
Intervenants lors de la conférence
Julien Petit, curateur au MAMU (Museo de Arte Miguel Urrutia), Bogotà
Yali Sequeira, coordinateur
Léa Courrèges, référente Colombie, Peace Brigades International (France)